[Chronique de l'après] La fracture anthropologique


Boris Johnson : bien fait pour sa pomme ! J’ai un peu honte, mais c’est exactement ce que j’ai pensé en apprenant l’hospitalisation du Premier ministre britannique pour cause de contamination sévère au Covid-19. (Comme il a l’air de s’en sortir, je peux l’avouer.) Quelques jours auparavant, il se faisait filmer dans la foule en train de serrer des mains, sans gants, en propageant le virus dont il était peut-être déjà porteur.

Lui, Donald Trump, le Néerlandais Mark Rutte, le Brésilien Jaïr Bolsonaro et, au moins dans un premier temps, Bart De Wever appartiennent à la même engeance. Persuadés sans doute de faire partie de la race des surhommes, ils ont commencé par ricaner : ce virus exotique, c’était juste une mauvaise grippe. Après quoi tous ont rechigné devant les mesures de confinement qui risquaient de faire souffrir leur économie sur la scène majeure de la compétition universelle. Certains ont prétendu miser uniquement sur l’immunité collective sans autre mesure de protection : en éliminant ses éléments les plus fragiles, la société sortirait renforcée de l’épidémie. Le même raisonnement s’appliquait d’ailleurs aux entreprises : que des canards boiteux disparaissent, c’est plutôt une bonne nouvelle, ça améliore la santé globale du tissu économique. Pas de quartier : du moment que les forts s’en sortent, que crèvent les faibles.

Ce sont exactement les mêmes qui ne croient pas vraiment au réchauffement climatique et à son origine anthropique. Ainsi, Bart De Wever, qui se considère comme un « écoréaliste », ne voit pas pourquoi quelques millions de Flamands devraient changer quoi que ce soit à leur mode de vie, leur impact étant infiniment moindre que celui de la Chine ou des États-Unis qui, pour leur part, ne font aucun effort. Ce sont encore les mêmes qui ne jurent que par le néolibéralisme et s’en remettent aveuglément à la concurrence libre et non faussée. Leur attitude face aux migrants et aux femmes n’est pas en reste.

Mais, serine-t-on, n’est-ce pas ainsi que la nature fonctionne ? Darwin ne l’a-t-il pas démontré ? Les mâles les plus puissants transmettent leurs gènes tandis que les plus fragiles sont impitoyablement éliminés, ce qui renforce les performances globales de l’espèce. Pourquoi l’espèce humaine devrait-elle échapper à cette règle d’airain ?

La bataille culturelle

D’abord parce que cette règle… est fausse. Au sein de la même espèce et même entre espèces, le principe de coopération cohabite avec le principe de prédation. Dans les pulsions qui régissent les comportements humains, les deux coexistent. Mais, surtout, l’espèce humaine est dotée d’une caractéristique qu’elle est la seule à posséder : une culture. Elle n’est pas que nature, elle possède ce que les psys appellent un « surmoi ». Et, du fait de cette culture, elle a une histoire. Pour le meilleur ou le pire, demain n’est jamais la reproduction mécanique d’hier.

C’est ce qui fonde cet espoir qu’après la pandémie, on ne revienne pas au statu quo ante. Les rapports de forces sociaux n’auront pourtant pas changé d’un seul coup. Les forces aveugles qui dirigent la main invisible du marché seront toujours mues par la même nécessité d’engraisser les détenteurs de capitaux quoi qu’il en coûte pour l’humanité et la planète. Mais ces forces ne sont rien si elles ne peuvent s’appuyer sur un consentement majoritaire, ne fut-ce que passif. Et là, les lignes peuvent bouger, en modifiant l’ordre des priorités au cœur de nos populations et en l’exprimant dans tous nos messages, les plus explicites comme les plus subliminaux. La coopération plutôt que la concurrence. La complicité plutôt que la compétitivité. L’empathie plutôt que la méfiance. Alors la bataille pour l’hégémonie repartira, dans le sens que lui a donné Gramsci. Elle ne se passera pas dans les parlements mais pas non plus « dans la rue » : elle sera culturelle. 






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