[Chronique de l’après] Et pour les Flamands la même chose ?


La société gronde : quand nous serons sorti·e·s de cette épreuve, pas question de faire comme si c’était juste une parenthèse et d’en revenir à un business as usual insupportable. Même des idéologues du monde bancaire virent leur cuti et s’expriment désormais comme de vulgaires sociaux-démocrates vantant les mérites d’une puissance publique forte et de services publics bien financés. Ne soyons pas dupes. Ce ne sont pas ces idéologues qui forgent les lois du marché, ils ne font que les commenter. Si on n’arrive pas à les briser ou à tout le moins les brider, les forces aveugles qui président à l’accumulation du capital ne peuvent pas faire autrement que d’imposer leur logique infernale. Le darwinisme social reste leur moteur : mort aux faibles.

Darwin a bon dos…
Changer de logique impose d’inverser les rapports de force. Sur le plan politique, les dernières élections ont indiqué les tendances. À l’exception remarquable de la Wallonie et de Bruxelles (et de mon cher Portugal), c’est presque toute l’Europe politique qui a viré à droite. L’Europe sociale ne se porte pas mieux depuis que la mondialisation a brisé le cadre national des compromis sociaux. En revanche, avec cette crise Corona, on est peut-être en train de vivre un vrai basculement culturel dans les opinions publiques. C’est sans doute là-dessus qu’il faudra tabler pour espérer briser la doxa néolibérale qui s’est imposée depuis les années 1980.

Cela prendra sûrement du temps, mais il faut s’y atteler sans attendre. Vous avez sûrement vu passer ce texte nécessaire publié sur le site du quotidien Le Soir de ce mercredi, intitulé Gérer l’urgence… puis réinventer l’avenir. Il dit notre refus d’un retour à une « normalité faite d’inégalités violentes, de mondialisation insensée, de marchandisation de la vie et de résignation à la catastrophe écologique [qui] est aussi la source du drame que nous vivons ». Je l’ai signé, évidemment, avec tant de figures de notre société civile. Ça fait du bien, parfois, de se compter et de se retrouver si nombreux, même si je ne suis pas très sûr de l’utilité des cartes blanches qui se multiplient en ce moment.

La santé, les services publics, la critique du néolibéralisme, la carence d’un mode de gouvernance lâchant la bride aux logiques marchandes : c’est, au minimum, au fédéral que ce texte s’adresse. Mais voilà le hic : il n’est signé que par des francophones. Je m’en désolais auprès d’un des initiateurs, par ailleurs responsable d’une grosse centrale syndicale, qui s’en désolait également et commentait : « Ce pays est ainsi. S’il avait fallu chercher des signatures en Flandre pour un tel texte, le soutien des grandes organisations de la société civile aurait été proche de zéro. Peut-être dans un deuxième temps… » 

Dans une seule Région ?

Dans la séquence politique ouverte par la constitution du gouvernement MR/N-VA, ce n’est pas une première. En décembre 2018, à l’initiative d’Édouard Delruelle et Jean-Pascal Labille (Solidaris), était lancé un « Manifeste pour un pacte social & écologique ». Un texte remarquable, même si j’avais trouvé alors dommage qu’il soit circonscrit au monde socialiste. Mais surtout : de nouveau, il s’agit d’une initiative uniquement francophone, alors que personne ne peut imaginer qu’un tel pacte puisse être passé à l’échelle d’une seule Région ni même de deux.

N’y aurait-il pas de partenaires flamands disponibles ? Si, il y en a, mais ils sont d’une tout autre nature. En Flandre, de tels textes ne pourraient sans doute être signés que par des personnalités du monde académique, intellectuel et culturel ne représentant qu’elles-mêmes. Quant au middenveld flamand (la société civile instituée), il est en ce moment tellement fragilisé qu’il a plutôt tendance à faire le dos rond en attendant que ça passe. Les subsides qui le font vivre sont en train de fondre à toute vitesse et, pour certains acteurs importants du monde associatif, c’est de leur survie qu’il est question.

Un mouvement social et une gauche politique qui ne seraient que francophones n’ont aucune chance de faire basculer l’opinion publique flamande qui risque de se donner une majorité N-VA/VB aux prochaines élections. Or, pour obtenir des effets au niveau fédéral, il faut pourtant qu’elle bascule. Quadrature du cercle ? 






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